Commémorer le bûcher de 1211 à Lavaur


Une cérémonie salutaire pour notre mémoire et notre dignité

Texte d’Olivier Cébe, Secrétaire général de la Société du Souvenir et des études cathares

Cher Président, cher Michel Roudet, votre invitation à participer à la commémoration du dénouement tragique en 1211 du siège de Lavaur en mémoire de Dame Guiraude représente un évènement marquant de la vie de la Société du Souvenir et des études cathares dont vous venez de rappeler dans votre propos de bienvenue qu’il connut un précédent majeur sous l’autorité de Déodat Roché.

Je tiens tout d’abord à vous remercier de l’honneur que vous nous réservez, soulignant par là-même votre fidélité au message que nous maintenons (au sens du terme occitan de mantenaïres). Un témoignage qui vaut encouragement alors que nous renouons avec la parution des Cahiers d’études cathares après plusieurs années de silence dues au contexte peu amène de la recherche sur ce qui fait l’essence de ces terres d’Oc.

Le Plô : de la poésie au drame inacceptable

Nous voici donc rassemblés sur Le Plô : un espace calme, riant, accueillant… Ostensiblement tourné vers l’Orient.

Ici s’élevait, tel une proue de navire, le vieux castrum. Il dominait la vallée de l’Agoût et gardait simultanément le verrou de Jonquières vers le Lautrecois et la plaine de Castres, ainsi que la voie romaine qui s’échappe vers la Montagne Noire.

Depuis ce promontoire, la vue s’étend sur un de ces paysages qui valut à notre art de vivre d’être salué au travers de l’appellation Pays de Cocagne.

Car, ici, tout respire la poésie, la courtoisie, la convivença : le silence, la lumière, la perspective vers le Levant… S’y dégage l’évocation des cours d’amour, des trobadors, de l’art d’Aimer… En un mot : le culte de l’Alba.

Tout ce que l’histoire retient de l’existence généreuse de celle qui fut la Dame de Lavaur.

Sauf que subsiste, invisible sous cette pelouse, le souvenir d’un puits noir, profond… bien réel dans nos mémoires.

Un puits où sont enfouis toutes les horreurs, les appétits, les aveuglements dont sont friands les humains…

Ce puits où fut précipitée Guiraude de Lanta, écrasée sous les pierres jetées par ses bourreaux.

Du vieux castel il ne reste rien que ce parc bien entretenu et du puits la seule certitude de son existence.

Vers l’occident, la ville nouvelle fut établie sous la masse impressionnante de l’église des cordeliers, derrière le fossé qui barrait le site.

Un fossé qui sépara deux histoires, deux cultures, deux époques

Un fossé qui isola cet espace vierge, riant, lumineux, vidé de toute construction parce que maudit, souillé irrémédiablement par les louanges de ceux qui célébraient le rayonnement de l’Esprit en chaque être, le Paraclet…

Survint alors, le 3 mai 1211, jour de la fête de l’Invention de la Sainte Croix, cette armée dont les guerriers entonnaient le Veni Sancte Spiritus : ce chant de victoire attribué au pape Innocent III (mais semble-t-il plus ancien), séquence dorée de la liturgie romaine réservée à la même fête de la Pentecôte, porteuse du même symbolisme : Viens Esprit Saint…

Paraclet et Esprit Saint : deux traductions de l’hymne à la vie spirituelle !

Le puits, le bûcher, le massacre : synthèse de la fin d’une époque alors qu’une autre s’engouffra dans l’Histoire…

Alors débuta une nouvelle construction de la vie dans nos pays d’Oc.

De nouvelles routes furent tracées qui écartèrent les anciens flux. De nouvelles villes fleurirent pour abattre les anciens centres de commerce. Un nouvel urbanisme s’installa, loué aujourd’hui comme un des fleurons de notre patrimoine, les bastides. Enfin, de nouveaux prêches contraignirent les fidèles dans une nouvelle architecture adaptée à ces régions récalcitrantes (le gothique méridional présente une large nef et une entrée unique, ancêtre du guichet de contrôle).

Un nouveau cadre de vie, une nouvelle vision du monde, une nouvelle image du devenir des âmes.

Qui laissa vierge et muet l’ancien castrum de Dame Guiraude.

Dame Guiraude

Deux figures rappelées ici par son souvenir :

  • Clémence Isaure, la Dame de “l’Alba”,
  • Celle, anonyme, qui lança la pierre fatale voici 800 ans : Vent tot dreit la peyra lai dount era mestiers.

Deux images superposées en naquirent

  • deux langues : l’une institutionnalisée, souveraine ; l’autre qui nous a offert en cadeau notre accent;
  • deux patrimoines : l’un magnifié, allant jusqu’à s’imposer comme identitaire aux yeux du monde ; l’autre estompé, à redécouvrir par l’archéologie quand il n’est pas détruit comme dernièrement le palais wisigoth de Toulouse ;
  • deux attitudes enfin qui nous sont propres : l’une de composition, l’autre de résistance…

(Pour en savoir plus, voir le site des Amis des Musées de la Région Occitane.)

… pour une seule terre

Comme tous les sites de ces Pays d’Oc, Lavaur vit au croisement de ces deux mémoires :

  • le fossé est comblé où s’édifie la médiathèque moderne du partage des savoirs,
  • la brique sous le soleil s’est adoucie,
  • l’Alba y dessine un nouveau jour dans le partage d’un patrimoine issu de cette époque douloureuse et dans le souvenir de Dame Guiraude, symbole d’une des sources majeures de notre culture.

Romantisme ? pourquoi pas ! C’est certainement mieux que le révisionnisme qui s’applique à gommer ces empreintes. Car nous devons savoir lire notre histoire pour nous situer, majeurs, dans le monde actuel.

Un dimanche de Pentecôte, en 2018

Notre réunion aujourd’hui commémore la réalité d’un drame qui mérite de résister à l’effacement. Mais ce n’est pas dans la confusion ni dans l’inadmissible culture des extrêmes. Nous ne sommes plus au Moyen Âge.

À l’image de la Tour de Babel, orgueilleuse et vaine, nous préférons placer notre réunion sous ces paroles du Se Canto :

Abaissatz-vos, montanhas
Planas auçatz-vos
Per que posqui veire
Mas amors ont son

Abaissez vous, montagnes
Plaines, haussez vous
Pour que je puisse voir
Où sont mes amours

Devant cette stèle que la colombe a scellé de son empreinte de lumière, notre hommage à Dame Guiraude est celui de ses enfants à cette terre.

Une terre qui s’interroge encore sur ce symbole que d’aucuns reconnaissent comme l’Esprit.

Notre devoir est bien d’en rester dignes… avec notre accent.

à Lavaur,
au Jour de la Pentecôte,
20 mai 2018.

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