Entre quais de Seine et Porte d’Orléans, les chants nostalgiques de terroirs de liberté


Parmi les témoins, Anne Vanderlove qui vient de partir pour le long voyage…

Au passage Rimbaud, la voix des poètes dansait sur les portées du manche de leur guitare…

Une grande baie ouverte sur un arbre. Seul, résigné à l’ombre du pignon aveugle dressé de l’autre côté de l’impasse. Un îlot de pseudo silence gagné au hasard des aménagements urbains entre les avenues du Maine et Général Leclerc, énormes fleuves de circulation qui se rejoignent, dévalant vers la Porte d’Orléans : l’évasion vers le Midi.

Pas un piéton. Seuls les locataires du petit immeuble poussent la lourde porte de fer forgé pour emprunter l’escalier de faux marbre.

La pièce devait à sa large fenêtre de paraître vaste… Tout le ciel bleu de la capitale semblait s’y réfugier et le vieux plancher ciré l’y recevait avec bonheur. Sur le bureau étroit, à l’ombre des rideaux de flanelle jaunie, un lot de biographies brochées et de feuilles griffonnées révélait la raison de mes absences en journée.

Jusqu’à pas d’heure…

Pierre, impresario et organisateur de spectacles à Bobino, utilisait notre studio comme arrière-garde de ses succès et déboires et y entassait le matériel d’affiches et de pots de colle destiné à rabattre les publics vers la rue de la Gaîté ou le théâtre de Sartrouville.

Ainsi, c’est à ce colocataire envahissant que je dois d’avoir partagé de longues fins d’après-midi avec quelques uns des poètes dont la voix emplissait les ondes de radios au petit matin du “Paris s’éveille“… Bercé entre le délice de découvrir l’œuvre des artistes de la Renaissance italienne et l’aspiration à goûter à grandes lampées les créations de la nouvelle génération de chanteurs dans les cabarets de la Contrescarpe et de la place des Vosges.

Celle de Pierre étant trop exigüe pour les recevoir, ma chambre d’étudiant accueillait les visiteurs. Les jours de spectacle, les artistes s’y installaient pour quelques heures avant leur prestation du soir.

Des moments privilégiés que ces préambules au récital. À l’entr’acte, fébrile, j’irai quérir un sourire dans la loge, invitation muette mais indispensable pour retrouver plus tard le cercle des intimes dans un troquet “jusqu’à pas d’heure“.

L’antichambre du récital…

Anne Vanderlove était la plus prolixe, inquiète de devoir affronter non pas le public mais les organisateurs de la tournée. Colette Magny tenait la conversation avec plus de désinvolture car elle était déjà installée dans les programmes de la saison. Plus timide, Patrick Abrial —mon compatriote tarnais— paraissait hésitant à l’égard de ce monde du spectacle déroutant, malléable, intolérant… Chacun —c’était manifeste— se trouvait à l’orée de sa carrière artistique, totalement concentré sur les moindres frémissements de la critique et donc totalement fermé au monde extérieur (dont, bien sûr, je faisais partie). Même si nos penchants politiques étaient souvent très éloignés. nous nous côtoyions ainsi dans une sorte de mondanité bienséante, propre aux agitateurs des marges de la société bourgeoise… et parisienne.

Alors, dans ce réduit étroit où, comme tout étudiant, j’aspirais, naïf et assoiffé, au devenir inconnu, survint Gilles Vigneault.

Le poète du vent du nord

Jack, Jack, Jack, Jack disaient les canards
Les perdrix et les sarcelles
Monoloy disait le vent
La Mariouche est pour un blanc

Un souffle de vie que sa présence. Une lumière étrange, débordante, pourtant si puissamment contenue… La Nature à peine apprivoisée des immensités de la Belle Province… Le combat d’une langue (et d’un accent : la formulation de la pensée !) contre la mode des actuels “p(r)écieux et (r)idicules“ qui jargonnent en anglais… Surtout son langage de poète : la poésie souveraine, offerte, si délicate…

Ce géant impose le vent.

Aux Laurentides, au Saint-Laurent, aux effluves du Québec, j’aurais voulu lui dire la profondeur de la Montagne Noire, les évasions de la Grande Bleue, l’appel aux improbables surgis des chaos du Sidobre… Il avait écouté, surpris par les intonations de l’occitan, l’ancienneté des troubadours passés… Alors, son éclat de rire ponctuait avec douceur ces évocations d’un vieux continent lilliputien.

L’utopie d’un univers humain rassemblé dans sa diversité… Un rêve déjà évanoui avant même d’être formulé.

Lui ? Un résistant. Porte parole et “porte chants“ de résistants : ce peuple passionné, jeune, déterminé face au dogue américain… et toujours si aimable, vaillant, volontaire. Le Québec était terre de toutes les libertés essaimées par les poètes. Du moins l’avais-je ainsi côtoyé. Une aspiration à me persuader que la culture devait être le maître-mot de notre civilisation et qu’il revenait à notre pays d’en assurer le succès.

De là, cette fragile passerelle aux accents nostalgiques d’un lendemain espéré, tissée par cette nouvelle génération de chanteurs, née du “Paris libéré“…

En subsiste encore et toujours un Océan immense à traverser…

Mon pays, ce n’est pas un pays, c’est l’hiver
Mon refrain, ce n’est pas un refrain, c’est rafale
Ma maison, ce n’est pas ma maison, c’est froidure
Mon pays, ce n’est pas un pays, c’est l’hiver

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