Fred Bérence offrit à Ferrières de recouvrer l’Humanisme du Quattrocento


Son œuvre littéraire et sa bibliothèque décidèrent du foyer artistique et philosophique qui y perdure

Bérence : c’est ainsi que nous l’appelions dans son entourage, de même que la presse et les critiques d’art. Sa présence se détache au fronton du mémorial de mon parcours, lui qui fut mon guide des années durant, depuis ce printemps 1968 où, dans le salon littéraire de la Comtesse de Pierrefeu, je fis sa connaissance au terme de la nième rencontre hebdomadaire que —pour notre plaisir ô combien !— la grande dame offrait à quelques privilégiés dont, ce jour-là, Henry Corbin, Henri-Charles Puech et le cardinal Daniélou.

Certes, fidèle serviteur des Lettres, Bérence suivait la rigueur du mot et se soumettait au rythme du lecteur. Cependant, il laissait libre cours à son inspiration, écrivant ce que trop souvent d’aucuns n’osent dire qu’entre les lignes. Un veilleur, pas seulement pour ses proches dont il sauva plusieurs d’entre eux devant l’avancée inexorable des chars allemands et plus tard soviétiques, à Prague —où, professeur de français, il avait créé son académie—, puis entre la France du Sud et la Suisse.

En Baie d’Éphèse, 1973

Au cours d’un périple vers les Pyrénées, il visita Montségur. Assis sur une pierre en attendant ses amis qui furetaient autour du château, sa main glissa sous le caillou et en retira les belles clés qui font aujourd’hui la fierté des collections de la Mairie à laquelle il les remit avant de poursuivre son voyage.

Illustration qui en vaut d’autres de son apostolat au service de “l’esprit, révélateur de l’Histoire humaine”. Je n’en retiens ici que nos visites à Venise, Éphèse, Antioche, Baalbek, Cnossos et surtout son séjour plusieurs semaines durant, à Ferrières dont il avait perçu l’idéal refuge.

Point n’est besoin d’en dire plus : ses livres prolongent sa pensée et soulignent la qualité de mon hommage à cet animæ frater qui traça mon cheminement. Il m’en fit honneur dans son dernier roman qu’il qualifia délibérément d’initiatique : l’Ile sans nom (éditions Le Courrier du Livre, 1973) devenue depuis mon port d’attache.

Les manuscrits de Fred Bérence sont déposés à la Bibliothèque Benjamin Constant, à Lausanne, et sa bibliothèque au château de Ferrières.

Dans Le Seigneur et le Satan – Au-delà du Bien et du Mal, Annick de Souzenelle rappelle ce souvenir :

(…) à Èze, en ce petit village qui sans doute doit son nom – « la vie », ê zôê – à une antique fondation grecque, j’ai trouvé la vie. (…) En rupture avec l’Église romaine dans son moralisme et son rationalisme étroits de l’époque, j’errais à la recherche d’un sens à donner à la vie. Tout ce qui m’entourait me paraissait non-sens. Depuis la guerre de 1914 qui avait détruit ma famille jusqu’à celle que connurent mes vingt ans, tout me paraissait absurde. Pourtant, dès ma petite enfance, j’avais perçu la réalité d’un autre monde dont personne n’était capable de me rendre compte.

En 1956, après la mort d’un ami très aimé, je rencontrai celui qui avait été, si ce n’est son maître, en tout cas un compagnon de route spirituelle, un homme qui avait donné un nouveau souffle à mon ami chrétien ; il s’appelait Fred Bérence et avait écrit de beaux livres sur le Quattrocento, une vie de Léonard de Vinci, une autre de Laurent de Médicis en particulier.

Ces ouvrages m’éclairèrent sur l’apport culturel infiniment riche des qabbalistes alors chassés d’Espagne et réfugiés dans le midi de la France et le nord de l’Italie ; la puissance de leur pensée symbolique vint vivifier ma culture religieuse occidentale que la théologie scolastique avait étouffée ; elle me permit de nommer ce qui m’avait fait fuir l’Église, son vide absolu du souffle de l’Esprit-Saint. Pendant plus d’un an, chaque semaine, accompagnée de l’épouse de mon ami décédé, nous écoutions Fred Bérence qui nous consacrait une longue soirée. Ce fut un régal ».

Fred Bérence (Berne, 1889 – Paris, 1977) est l’auteur de romans dont Les Inassouvis (1928) et Heurtemont et Heurtebise (1950), de nombreuses biographies d’artistes de la Renaissance italienne tels Raphaël, Léonard de Vinci, Botticelli. Laurent le Magnifique comme Michel-Ange reçurent le Prix Charles Blanc de l’Académie française, Lucrèce Borgia fut honoré par le Prix Femina. Les volumes La Renaissance italienne, La Grandeur spirituelle du XIXe siècle français et Les Papes de la Renaissance sont toujours des classiques.

L’Ile sans nom fut son dernier roman, lentement mûri, qui trouve son dénouement dans un événement dramatique semblable à celui dont nous avons failli tous deux être victimes, ce qui le décida à le publier.

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