“L’ombre de la Montagne Noire sur la voie médiévale des Provençaux”


Conférence donnée à dans l’auditorium de Carcassonne, ancienne splendide chapelle des Jésuites
le Mercredi 13 juin 2018 à l’invitation de l’Académie des Arts et des Sciences

Extrait de la prestation : aux XIe et XIIe siècles

Certains monuments semblent sortir de terre… Comme si leur existence était tout aussi naturelle que les roches et les végétaux qui les entourent. Ils font corps avec la nature avec cette particularité qu’ils s’y manifestent comme une sorte de pivot autour duquel le paysage semble s’être architecturé.

Probablement parce que leur conception —généralement élaborée en plusieurs phases— a tout naturellement respecté la géographie afin d’épouser le relief et profiter au mieux de ses capacités, à l’origine du choix des constructeurs.

Déjà, le fait de quitter la plaine où les rivières s’assagissent provoque un dépaysement surprenant : en amont, leur cours se fraie un passage entre les flancs resserrés des montagnes dont l’aspect sauvage s’accentue depuis que l’exode rural et l’abandon de ces terres a cédé la place à des bois et taillis.

Ainsi, les hautes vallées des cours d’eau qui dévalent du Massif Central recèlent d’innombrables sites fortifiés à l’allure “médiévale”. Les remaniements successifs n’ont pas entamé l’harmonie qui s’en dégage grâce à l’utilisation de matériaux locaux et à l’évolution si lente des techniques de construction. Le fait qu’ils aient été abandonnés ensuite (par décision du pouvoir central ou plus simplement en raison du déplacement des activités socio-économiques qui les justifiaient), a permis qu’ils nous soient transmis comme après un “arrêt sur image”. Et c’est pour le plus grand plaisir de l’enfant qui sommeille en chacun nous, même si nous sommes archéologues, historiens ou autre scientifique à l’apparence si sérieuse… Ce qui est plus vrai encore pour celui qui a l’humilité de ne pas savoir (un chanceux qui peut librement rêver !).

Certains sont aisément repérables :

  • sur le Sor, la “tour” de Roquefort semble surveiller Durfort dont les anciens martinets de dinandiers font la célébrité.
  • sur l’Agoût, Sarrazy en amont de Brassac et Saint-Michel de Peyroles sur le Lignon, forment les bornes d’une série impressionnante de sites semblables cachés sous les broussailles de la rive droite de l’Agoût.
  • sur le Gijou, à Sénégats —très remanié— et sur son affluent le Berlou, la Viale ;
  • sur le Dadou, La Roque qui veille sur l’ancien moulin et, en amont, le site impressionnant d’Arifat amplement modifié par la suite suivant le même principe reconnaissable à Ferrières d’une tour identique devenue le “moyeu” des extensions de l’édifice ;
  • sur le Tarn en amont de Saint-Juéry et sur ses affluents, ainsi La Bastide de Vassals en pleine redécouverte grâce à la volonté de son nouveau propriétaire…

Des édifices qui présentent des caractéristiques communes :

  • une tour de plan carrée, haute de plusieurs étages dont celui, inférieur, est vouté et présente une trappe ménagée au centre de la voûte (par exemple au vieux château de Bruniquel). Perchées sur un roc escarpé, ces tours sont généralement abandonnées avant 1250.

  • un moulin en contrebas sur la même rive, maintenu au fil des siècles parce que transformé en moulin à foulon, scierie ou moulin à blé mais ayant été à l’origine une “mouline ferrière” destinée à battre le minerai (le site de Durfort en a conservé l’usage au travers des ateliers de dinanderie).

  • sur le flanc abrupt de la montagne, la présence d’anciennes structures d’extraction de minerai (par exemple, à Saint-Michel de Peyroles, le bien nommé).

L’examen de ces sites permet de confirmer la puissance des Trencavel, possesseurs d’un magnifique territoire aux richesses minières immenses dans ces contrées montagneuses (la répartition de ces tours coïncide en grande partie avec leurs fiefs). Ces revenus venaient s’ajouter à leurs droits sur les vicomtés de Béziers, de Carcassonne (axe commercial majeur entre Méditerranée et Bassin de la Garonne) et d’Albi (dernier port fluvial sur le Tarn pour commercer avec le Massif Central).

On comprend mieux l’abandon de ces “castellas” (en occitan) avant 1250… Nul besoin de les démanteler. Leurs anciens possesseurs étaient vaincus, certes, mais les lois du commerce surtout étaient totalement modifiées d’où leur abandon puisque leur fonction première était définitivement condamnée.

Il suffit de gagner le débouché de la vallée sur la plaine, pour rencontrer les nouveaux maîtres du pays. L’implantation des bastides et abbayes contrôlera dorénavant toute incursion dans ces massifs montagneux dans lesquels le pouvoir central tardera à se manifester puisque, souvent, c’est la craintes de l’extension des soulèvements cévenols aux XVIIe et XVIIIe siècles qui en décidera.

En savoir plus sur l’Académie des arts et des sciences de Carcassonne.

Voir aussi : “Le donjon du Dragon…”

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