Au miroir de la Baie se dédouble la Merveille, rocher orphelin à l’orée de la terre, gigantesque pyramide dressée à l’appel du Messager des Cieux


Il est des sites qui s’offrent le choix de gens sages pour les préserver des egos maladroits comme des ignorants malgré eux. Ainsi, au Mont Saint-Michel, la Traversée de la Baie ressurgit-elle grâce aux soins patients d’une gardienne avisée

Marie-Paul Labey me reçut à Pontécoulant, dans l’après-midi ensoleillée d’une fin d’été. La maison, toute d’architecture de granit et d’ardoises. disait au premier regard qu’elle était dévolue à la quiétude, la simplicité et l’hospitalité bienveillante. Derrière le muret protecteur au long de la route, la grande prairie vallonnée se modulait progressivement en jardin à l’approche de l’escalier d’entrée et de son large palier : les tons sévères des matériaux étaient alors apaisés par quelques jardinières de fleurs, le bleu délicat des menuiseries et, surtout, ce paysage verdoyant qui dévale en douceur vers le ruisseau, auteur et bienfaiteur par évidence de toute vie humaine depuis des siècles sur ses rives.

Le seuil franchi, notre entretien avait débuté comme pour tout visiteur dans le salon-bibliothèque au plancher qui respire l’authenticité et sent bon la cire. Les objets sur les étagères, les dossiers sur le bureau, la lumière naturelle et les ombres réfugiées derrière un vase ou bien un lot de livres et revues, attendaient avec une impatience perceptible de s’activer suivant les gestes de la dame des lieux. L’escalier de bois dans le vestibule conduisait à l’étage où je disposerai de ma chambre. Une fois les affaires rangées, notre conversation reprit dans la cuisine comme un partage normal pour les disciples des arts et des lettres entre tâches quotidiennes et celles qui mobilisent l’esprit.

… sur la route de Pontécoulant

Car, dès mon premier séjour à Pontécoulant, ce fut une véritable immersion dans un cadre tout droit sorti d’un roman de Stendhal ou d’une lettre de George Sand que seule cette région de la Normandie peut proposer : entre ses racines prudemment éloignées de la vie parisienne —donc du pouvoir—, son apprentissage mesuré des traditions de l’Albion toujours présente, et une certaine nostalgie du grand large que seul l’amour des lettres et des chevaux semble apaiser. Équilibre envoûtant du fort justement désigné “bocage“ qui sert la dignité et le sourire d’un art de vivre si bellement proposé.

Ce fut une succession de moments rares que me permit cette mission auprès de l’association des Chemins du Mont-Saint-Michel et d’une équipe jeune, décidée, chargée par leur Présidente de mettre en œuvre la Traversée de la Baie à pieds. Une initiative novatrice, mesurée, intégrée aux conditions de vie locales. Un projet touristique destiné aux visiteurs et voyageurs abordant les embouchures de la Sée et de la Sélune, qu’ils soient avides des bienfaits de la Nature sur Terre, de la générosité des Cieux et certainement de leur penchant à l’évasion.

Il n’est pas peu dire que je devais alors à Marie-Paul Labey de me tirer d’un mauvais pas dans les sables mouvants de la jalousie humaine toute de rugosité, de rumeurs assassines et de médiocrité de la part de quelques carriéristes locaux. Piège qui avait mis un terme à mon investissement d’une douzaine d’années en faveur de la réhabilitation des Chemins de Saint-Jacques sur les régions occidentales de l’Europe.

Sa haute considération de la justice et sa volonté d’œuvrer au service des communautés l’avait certainement déterminée à venir à Ferrières me proposer ce challenge. Un tel projet se présentait comme l’aboutissement de son engagement public en faveur de la protection de l’Environnement, offrant au-delà de privilégier des dimensions culturelles à destination de tous publics (cf. ci-après). Motivation commune que nous reconnaissions à l’institution toute récente des Itinéraires Culturels Européens à laquelle nous n’avons jamais cessé d’apporter notre soutien.

Edward William Cooke, 1831

Décidés à traverser la Baie à pieds, c’est à Marie-Paule Labey que des milliers d’assoiffés d’aventure attirés par sa surprenante invitation, doivent dorénavant d’affronter les eaux salées et douces, mêlées dans des mariages insaisissables. Ils longent à quelque distance l’île de Tombelaine scellée de l’empreinte indélébile du grand “passeur“ Alcofibras, avant d’atteindre enfin, trempés et ensauvagés par tant d’obstacles vaincus, le pied du Rocher où vint s’asseoir l’Archange salvateur.

Ne doutons pas que celui-ci lui murmura quelque mot réconfortant à son départ ultime.

Mes pensées vont aux siens, aux amis rencontrés durant mes séjours à Pontécoulant et Vire, mes visites mémorables à Notre Dame de Dessous-Terre sous la conduite de François Saint-James, puis l’escalade si périlleuse de la flèche, survolant les arcs-boutants par l’étroit escalier de granit que ne cessent de polir les bourrasques et la brume. Expérience redoutable à vaincre le vertige, à affronter l’espace indéfini… pour trouver enfin le repos d’une nuit réparatrice dans la chambre mythique de la “maison des hôtes choisis“ : ceux-là mêmes promis au privilège de s’évader depuis la célèbre fenêtre tripartite vers les mauves rougeoyants, verdâtres, mordorés des courants de la marée montante et les grisailles des deux rivières qui se noient déjà au loin, englouties par l’azur de la mer fébrile à l’apparition de l’astre invaincu.

En quittant la Merveille, impossible de ne pas risquer le châtiment de la femme de Loth en nous retournant une nième fois : notre imagination veut encore s’y ressourcer, alertés que nous sommes par la crainte d’en perdre la réalité, assoiffés de rêves éveillés, de transgressions du temps au fil des siècles, de l’Histoire des humains façonnée par les légendes de géants. Nous abreuvons nos souvenirs à l’émerveillement du cloître qui sublima notre for intérieur tandis que nos yeux ne cessaient d’être exhortés à l’assaut d’espaces infinis par la grande baie gothique, orpheline saugrenue du bâtiment adjacent disparu pour devenir la fille aimée du grand large.

Un hommage à une amie, certainement. Surtout un témoignage de ma gratitude à son égard pour la montée d’un degré si révélateur nel mezzo del caminn della mia vita.

Savoir métamorphoser en gratitude ses contraires

À l’occasion de la remise du Prix du Patrimoine de la Fondation Stéphane Bern-Institut de France le 16 janvier 2019, voici la réaction de Marie-Paul Labey, fondatrice en 1998 de l’association en découvrant un article dans les réseaux sociaux :

Le 20 janvier dernier, quelle ne fut pas ma surprise de trouver par hasard l’information concernant la remise aux « Chemins de Saint Michel » du Prix du Patrimoine 2018 de la Fondation Stéphane Bern. Je ne pouvais plus assister à cette heureuse grand’messe à l’Institut de France l’évènement étant vieux de quatre jours. Personne ne m’en avait informée, ni conviée donc !

Ceci dit, je suis heureuse et fière de cette récompense pour « Les Chemins du Mont-Saint-Michel ».

Présidente fondateur de l’association en 1998, cela fut vingt années d’initiatives, de démarches, de travail, de déplacements.. quittant la présidence active pour des raisons de santé, j’en suis maintenant présidente d’honneur. Tout le travail considérable qui a été fait l’a été grâce à l’engagement des bénévoles – baliseurs, hébergeurs, accompagnants des marches, écrivains-marcheurs, historiens.

Quelque soit la merveilleuse beauté des monuments que le culte à l’Ange Michel a fait éclore, les « Chemins du Mont-Saint-Michel » n’ont pas comme seule vocation le culturel. Leur but est d’abord de retrouver les anciennes voies de pèlerinage qui menaient au Mont, de les rendre accessibles au public, de les faire connaitre par des topo-guide appropriés, d’organiser des marches collectives, de trouver des solutions à l’hébergement des marcheurs … baliser les chemins, poser des clous de balisage au logo de l’association pour le parcours dans les villes, guider, renseigner, aider. C’est faire revivre l’esprit des pèlerinages d’autrefois.

Le partage, la rencontre, l’hospitalité, la symbiose avec la nature, le dépassement de soi, et enfin l’éblouissement de la beauté et du sacré..

Encore un mot, cultivons l’empathie, ayons des projets incluant altruisme.. Cela rend heureux et cela rend les autres heureux.

… et de conclure en ce mois de janvier 2019 :

Tous mes vœux pour une année lumineuse.

Marie-Paul Labey est décédée le 11 juillet 2024.

à Barfleur en septembre 1999 pour l’inauguration du « Chemin aux Anglais », de Winchester au Mont (par Barfleur ou Cherbourg) : Marie-Paul Labéy, avec Jacques Houyvet, maire de Barfleur, et Pierre Aguiton, vice-président du Conseil régional de Basse-Normandie (photo Les Chemins du Mont-Saint-Michel)

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