Chemins de Santo Toribio de Liébana (Caminos a Santo Toribio de Liébana) de Victor Guerra


Merci à Victor Guerra de m’avoir invité à écrire le prologue (ici, traduit de l’espagnol) de son ouvrage décrivant les “Routes Cantabres et Asturiennes“, paru aux éditions Delallama

Tels des phares dans la vie nocturne du Vieux Continent, certains lieux apparaissent à l’horizon là où l’ancien Empire romain disparaît. Puis, comme un mirage, ils rejaillissent sous son reflet carolingien.

La Bonne Nouvelle vient toujours de la mer nous disent les légendes les mieux informées qui désignent leur lieu d’accostage : Padrón pour Santiago, les Saintes Maries de la Mer, la Pointe Saint-Mathieu, Notre-Dame de la Fin des Terres, l’ermitage de Mortagne-s/-Gironde où vécut saint Martial. Rome, bien sûr, choisie par les deux piliers de la foi chrétienne comme ultime halte de leur cabotage sur les rives de la Méditerranée : Pierre qui a les clés du Salut, Paul qui connaît le pouvoir de la Lumière. Jusqu’à l’Archange qui atteignit le Mont Saint-Michel par les airs.

Échouée sur la plage, réfugiée dans les terres

L’espoir annoncé aux hommes par la vague de la mer : nous ignorons si les Écritures le confirment car, comme chacun peut en attester, dans le sable de la plage la vague suivante efface ce qui fut écrit par la précédente…

Il est plus facile de lire les messages accumulés par d’autres vagues : ceux transmis par des peuples habitués à écrire leur mémoire avec un mélange de sang et d’amour. L’Histoire des marées, basses ou hautes, se développe au gré des conquêtes et récupérations de territoires ou de réseaux commerciaux.

Histoire pétrie, aussi merveilleuse que les anciennes légendes mais dont les héros, anonymes, sont ceux-là même qui la façonnent.

La légende exige la foi, l’histoire inciterait à la raison.

Ainsi, de terribles tempêtes imposent de cacher les graines sous la terre, en attendant des temps meilleurs … Si le lieu en était oublié, une étoile vigilante sert de miroir dans le ciel nocturne pour indiquer leur existence, ainsi aux enfants découvrant la grotte où gisait La Moreneta et à l’ermite Pelayo la sépulture de l’Apôtre Jacques le Majeur.

La graine était protégée loin des populations, dans les montagnes… plus près du ciel. À sa découverte, enveloppée dans un nid de paille, placée sous la protection de l’âne et d’un bœuf, elle fut recueillie la nuit par les bergers lors de la transhumance et accueillie à leur descente dans la vallée comme la lumière qui illuminera le monde.  Dans la lumière du jour, renouvelée.

Autrefois venue de la mer, elle renaît dans les terres : Santiago à Compostelle, la Vierge de Rocamadour dans le Quercy qui respire au rythme des marées, Marie-Madeleine à la Sainte-Baume et Notre-Dame de Candelaria dans le ravin de Chinguaro, ou encore Notre Dame du Puy ramenée de côte orientale à son retour des croisades par le saint roi Louis IX.

Protéger la graine dans le secret de la montagne où elle croit en silence … Peu à peu son souffle se fait plus fort… Un son doux emplit les vallées et se répand alentours… Et les gens sont venus de partout pour l’entendre.

Voici Santo Toribio de Liébana
L’ouvrage de Victor Guerra (éditions Delallama)

Au croisement de ces nombreux itinéraires de pèlerinage, le foyer spirituel fut maintenu et prospéra.

En retour, son rayonnement s’est répandu dans les régions les plus éloignées.

Pendant des siècles, Santo Toribio a généreusement ensemencé la Péninsule de la certitude et de l’espérance.

Il y a quelques années, il ne restait plus que deux routes pour se rendre à Santo Toribio. D’autres nombreuses avaient été abandonnées ou perdues et ne subsistaient plus que dans la mémoire des villageois.

Constat qui motiva Victor Guerra García. Fortement lié à Santo Toribio, il a voulu apprécier la splendeur du sanctuaire à travers la découverte des montagnes qui l’ont vu naître et rayonner : un foyer brille au loin qui rassemble, véritable diamant dont les montagnes sont l’écrin. Son travail le conduisit à restaurer la prééminence du site dans l’espace comme dans l’histoire.

Combien Liébana le mérite !

Deux refuges pour un mythe

Par évidence, l’étude de l’histoire des peuples nécessite un examen de la géographie qui éclaire sur le cours des évènements et la délimitation des territoires. En effet, les pouvoirs s’établirent en fonction du relief, de la qualité du sol et du climat, des moyens de subsistance. De tels critères décidèrent de la construction des villes et forts ainsi que du tracé des routes soumis aux lois des montagnes et des rivières, à savoir les cols et les gués.

La chapelle de la Santina, à Covadonga

Les territoires de la côte Cantabrique bénéficient d’une situation stratégique incomparable grâce aux montagnes, aux gorges et fleuves… à leurs richesses géologiques. Leurs peuples y ont puisé leur détermination et ainsi généré un passé véritablement héroïque.

Les hauts lieux de Covadonga et de Santo Toribio, situés des deux côtés des Picos de Europa, sont séparés par une frontière naturelle qui a été respectée et sert même aujourd’hui de frontière administrative.

Protégé derrière les contreforts des montagnes face à la mer, le site de Covadonga est le lieu de la victoire décisive contre les maures au VIIIsiècle : depuis, la dévotion à La Santina, protectrice du territoire rebelle ne s’y est jamais démentie jusqu’à nos jours.

Santo Toribio bénéficie d’une défense plus impressionnante avec la longue gorge de La Hermida. En aval, au bout de la gorge, la rivière Deva traverse majestueusement la plaine jusqu’à la côte. En amont, avant d’entrer dans les gorges, son parcours offre une véritable “clairière” en montagne pour accueillir la commune de Potes. Un site splendide, un creuset bien protégé surplombant Santo Toribio.

Le site de Potes et Santo Toribio

La date de la fondation du monastère n’est pas connue. Mais son importance apparaît soudainement dès le début de la Reconquista. Dès lors, c’est le lieu de manifestation du christianisme victorieux. Si le site de Covadonga est à l’origine de la Reconquête avec le succès des armes, celui de Santo Toribio célèbre la Reconquête des âmes.

L’éclat du monastère se mêle à la vie et à l’œuvre d’un célèbre personnage : le moine appelé Beatus. De même que la jeune sainte honorée à Conques porte le nom de l’Église (la Santa Fe) menacée puis victorieuse, le pseudonyme Beatus est lié à la croyance au Salut : en témoigne son “Commentaire de l’Apocalypse“.

“La Jérusalem céleste“ (Béatus de Facundus, Bibliothèque nationale, Madrid)

La biographie du moine Beatus nous apprend qu’il naquit à Tolède, capitale des trois religions musulmane, juive et chrétienne docète. Délaissant ce “monde du mélange“, il s’installa à Santo Toribio pour écrire le manifeste du christianisme “pur“, par conséquent l’unique qui puisse triompher. Ainsi, la vallée de la Liébana a-t-elle été son refuge mais aussi, en retour, le lieu de diffusion de son ouvrage essentiel pour justifier la Reconquista.

C’est la justification du travail remarquable de Victor Guerra. Pas à pas, face aux pentes les plus exigeantes et aux jours de fatigue, Victor Guerra a retrouvé les nombreuses routes qui se sont multipliées autour de Santo Toribio au profit de l’expansion du «Beatus» dans toute la péninsule ibérique.

Avec l’aide de ce livre complet, chacun de nous peut choisir son propre chemin pour commencer la “reconquête“ de sa pleine conscience de la vie. L’effort pour accéder en un lieu où est née l’une des racines de notre civilisation.

Un grand merci à Victor Guerra pour cette offre précieuse à notre époque de rapidité et de matérialisme.

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