De la menace d’une transhumance scolaire naît un fait-divers plein d’humour. Le tout dans le langage savoureux de la naïveté —enfants obligent— qui suggère d’aller bien au-delà de l’interprétation première…


Pour éviter une fermeture de classe et sur le thème “on n’est pas des moutons”, quinze représentants de la gent ovine furent symboliquement inscrits à l’école primaire du village de Crêts-en- Belledonne, en Isère

Ce matin-là du mardi 7 mai 2019, Monsieur le Maire attendait à l’entrée de l’école de bien curieux visiteurs. Quelques jours auparavant, le premier magistrat de la commune avait promulgué par arrêté municipal la réquisition d’une partie de la cour de récréation. Le droit avant tout.

Ce qui, au pays de Rabelais, n’interdit pas l’humour, au contraire : quelle meilleure façon de contrer une règlementation que d’en souligner la contrainte abusive en usant du langage populaire perceptible par tous (y compris aux temps de l’informatique).

D’une année sur l’autre, l’école était passé de 266 élèves à 261. L’Administration ayant fixé un seuil pour le maintien d’une classe, l’effondrement ne manqua pas d’être repéré par le logiciel du Rectorat ce qui déclencha ainsi la la décision d’en fermer une.

À Crêts-en-Belledonne, élus, enseignants et parents d’élèves avaient déjà fait l’expérience des examens “au cas-par-cas” : récemment, la fusion des deux précédentes communes en une seule reposa justement sur l’argument de la carte scolaire. Pour éviter d’être tondu, il fallait donc contraindre le logiciel à céder la place à la décision humaine.

Rien ne vaut un berger pour tenir le troupeau en rang dans l’espérance du Salut !

Ainsi fut fait : Monsieur le Maire ayant pris son arrêté, reçut fièrement le troupeau de quelques cinquante têtes sous les yeux malicieux mais aussi craintifs que le regard des moutons et brebis peu habitués à se trouver parqués dans une cour d’école pour célébrer la soif d’apprendre…

Méreau du “bon berger“ (agenais, XVIIe siècle). Au revers figure le verset de Luc (XII, 32) : “Ne crains point petit troupeau”

Rien ne filtra du processus qui s’en suivit : quinze membres de l’équipée ovine furent inscrits comme élèves de la classe sans qu’on ne connaisse les critères qui en décidèrent. La loi des “chiffres” préside aux meilleures intentions, même si nul ne sait comment fut fait l’appel des élèves pour vérifier l’augmentation des effectifs…

Pareillement, nulle indication ne transpira sur le débouché de l’action méritante des villageois et de leur Maire : qui de l’ami de Pantagruel ou du Bon Berger aura emporté la décision finale ? Le premier en balayant la réprobation locale comme Panurge jetant le premier mouton par dessus bord… ou bien le second se lançant à corps perdu pour sauver la brebis égarée et ramener la classe menacée dans le girond de l’école.

Enfin, comment ces braves bêtes dociles sont-elles revenues au bercail ? Les unes déçues de n’avoir rien appris de la culture des humains sinon leur esprit versatile… Les autres bien marries d’avoir été désignées comme ignorantes et maintenant rendues à leurs congénères, raillées comme il se doit par la vox populi. Cela paraît si naturel que les lois du troupeau rejoignent celles des statistiques que l’on ne se préoccupe guère des individus concernés !

Quelques jours auraient été nécessaire au troupeau pour retrouver le calme dans ses estives et aux élèves de Crêts-en-Belledonne dans leur école. Chacun chez soi.

Toutefois d’aucuns racontent que le Génie des Alpages aurait apporté son grain de sel dans cette affaire ! Depuis, la gent ovine rêve de suivre des cours pour goûter du plaisir des vacances…. tandis que les élèves dans la vallée se passionnent pour les albums de F’murr qui leur donnent pendant leurs cours l’illusion des congés.

L’Administration quant à elle, en aurait retiré une leçon de saute-moutons pour faire franchir le seuil fatidique à la classe de Crêts-en-Belledonne…

Du troupeau de Panurge à l’Agneau salvateur, l’exemple donné par l’école de Crêts-en-Belledonne rappelle un peu l’expression familière la goutte d’eau qui fait déborder le vase ou la métaphore de l’effet papillon… Une brebis qui lève le nez —ne serait-ce qu’en un petit village— aurait ébranlé, paraît-il, l’énorme machine à proclamer les règlements pour discipliner les multitudes.

Cependant, combien de brebis faudrait-il pour donner un peu de bon sens à notre monde ? Un troupeau ! mon bon Monsieur…

Les “ouailles”…

À voir :

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