Dessine-moi un train…


Entre nostalgie et recherche d’identité, la “Montagne“ nous invite à un dernier voyage

Disparu il y a soixante années, le “petit train de Lacaune“ avait fait les délices du public grâce à un court métrage de Jean Nohain : on y retenait ce veau tout apeuré, embarqué dans un wagon à Castres, soumis aux fracas et secousses d’un trajet épique et, enfin arrivé au terminus, doté —ho surprise !— d’une paire de cornes et donc adulte.

Le parcours sinueux se vivait comme une véritable croisière au rythme des haltes obligées où les passagers se complaisaient à distinguer des silhouettes connues qui allaient nourrir les conversations durant l’étape suivante. Le voyage n’en finissait pas de s’attarder pour déposer un pêcheur ou bien se débarrasser d’une branche d’arbre encombrant la voie. Une halte obligeait même le conducteur à klaxonner rageusement pendant plusieurs minutes jusqu’à réveiller sur l’autre rive de l’Agoût le passeur (sourd de surcroît) qui agitait enfin les bras pour confirmer qu’il allait récupérer les voyageurs avec sa barque. Pourtant, cette lenteur (toute relative !) appelait l’indulgence, le contrat étant respecté quelle que soit l’heure d’arrivée.

Ainsi, entre les premiers contreforts du Massif Central et la plaine de Castres, ce service irremplaçable de liaisons quotidiennes marqua la mémoire collective tel un monument symbolique auquel une communauté s’identifie. En outre, voisine des hauts cantons de l’Hérault et du Rougié aveyronnais, la Montagne avait choisi son versant et s’y complait toujours.

Son épopée dura à peine plus d’un demi-siècle : depuis un projet de “tramway“ qui ne vit jamais le jour jusqu’aux michelines débarquées en fin de course sur la ligne corse Ajaccio-Bastia. Cependant, la traction la plus symbolique en fut évidemment cette déclinaison en miniature du monstre de feu soufflant et fumant, tonitruant à l’entrée de chaque tunnel et dont la fierté était bien de se faire entendre au-delà des monts grâce aux vallées escarpées qui lui servaient de caisse de résonnance.

Le train à vapeur traversant le bien nommé “Gourc Fumant“

Comme beaucoup de nostalgiques appelés à verser leurs souvenirs au fil des Journées qui lui sont consacrées les 17 et 18 septembre, je pourrais encore imiter les coups de klaxon de l’autorail annonçant son arrivée en gare de Ferrières ou bien cadencer comme un batteur d’orchestre de fête villageoise les saccades des bogies sur les rails de la voie étroite : tagada…toc ! tagada… toc ! tagada…toc !

Comme une dernière valse, alors que les lampions se sont éteints il y a déjà six décennies !

L’arrivée en gare de Ferrières surplombée par la silhouette du château
Une empreinte au fil de l’eau

Aujourd’hui le tracé de la ligne est repris tantôt par une route départementale, tantôt par une voie “verte“ pour randonneurs à pied ou à vélo. Toutefois, quelques empreintes de sa première destinée subsistent que la Nature s’efforce d’effacer : ici un pont métallique dû à un élève d’Eiffel, deci-delà les haltes secondaires en briques mécaniques, abandonnées aux ronces, qui n’ont pas réussi à s’offrir un lifting avant cette commémoration.

Un anniversaire qui peut paraître paradoxal puisque destiné à fêter la disparition d’un ami. Plutôt faut-il y retenir le retour sur un passé dont on voudrait que la réminiscence stimule des retrouvailles entre deux vallées. Même si, à l’encontre de la géographie, le petit train avait osé confiner l’Agoût au rôle d’affluent du Gijou !

Ce mariage de raison tenta de définir un territoire et surtout de le hisser dans la lancée d’un progrès dépendant déjà des moyens de communication et de transport. Une prouesse qui, fort justement, faisait la fierté d’une population toute entière.

Les Trois Viaducs : harmonie entre la Nature et l’ouvrage des hommes
Un site grandiose
Le pont de Bézergues

Le site naturel est si beau qu’il ne restait qu’à le magnifier. Les concepteurs de la ligne méritent notre admiration : épousant les courbes des rivières tout autant que les épaulements des rives en cet endroit escarpées, ils se sont appropriés la sculpture langoureuse des vallées et la furie des eaux dans ces gorges pour les unir dans trois méandres de viaducs, dignes des prouesses d’architecture. Dans la Montagne tarnaise, les Trois viaducs (quatre bien sûr ! à l’image de l’équipée gasconne) peuvent, grâce à l’élégance de leur dessin, rivaliser avec l’impressionnant viaduc du Viaur inauguré à la même époque.

Un grand œuvre préservé, couronné même au milieu du XXème par une arche unique en béton—le viaduc de Bézergues—, si justement arborée avec fierté par ses ingénieurs-constructeurs.

La notoriété de ce site admirable des Trois viaducs ne peut que renaître dès que seront enfin appréciés à leur juste beauté les gorges et méandres sauvages des Labans, de Lacaze et Sénégats, de Sarrazy, de Ferrières : lieux servis dans leur majestueux écrins autant par la Nature que par l’intelligence d’hommes de qualité.

Des lieux fragiles : ainsi me souvient-il de la menace qui pesa sur les “Labans“, au débouché du Gijou sur l’Agoût ; l’ensemble impressionnant faillit disparaître à la fin des années 60 dans une carrière sauvage programmée par un homme d’affaire dont l’appétit fut calmé par l’intervention in-extremis d’un inspecteur des Sites venu spécialement de Paris en plein week-end, appelé au secours avant que les dommages ne soient irrémédiables. Les sidobriens, contemplant ce site depuis le plateau du “Désert“ qu’ils ont su préserver, en avaient déduit que le Sidobre, décidément ne franchissait pas l’Agoût.

Un massif granitique aux trésors innombrables qui ne concède un regard sur l’autre rive qu’entre Ferrières et Luzières comme d’ailleurs en témoigne l’Histoire depuis la nuit des temps.

Les gorges de l’Agoût en aval de Ferrières (gravure v. 1880 signée lancelot, d’après un cliché photographique de Fuziers-Herman)

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