Les siècles courent et pourtant se ressemblent…


En ces temps de Carnaval auraient été aperçus dans les cortèges quelques chevaliers de l’Ordre des Éteignoirs de la Culture. La mémoire ? faillible !… Les archétypes ? tenaces !

Ce qui vient d’être décidé à Limoux pourrait être lu comme un écho des interdits dont furent frappées d’innombrables réjouissances publiques destinées à enterrer l’hiver : fêtes des Innocents, de l’Asne, des Fous, processions des Cornards et autres Souffle-à-culs dérangeants. Un passé certes révolu dans notre pays, tout au moins pour ce qui est de la condamnation. Car, à bien y regarder, il en subsiste quelques séquelles, notamment dans l’acceptation hésitante au rang du Patrimoine de ces expressions populaires rangées péjorativement dans le “folklore“. Combien d’efforts reste-t-il encore à déployer pour qu’elles soient pleinement reconnues dans l’univers des rites du bonheur, façonnés par des générations de communautés humaines !

Pourtant, la problématique que pose l’évènement brutal qui met fin à l’existence de l’Institut du Masque à Limoux est d’une nature autrement grave et actuelle. Elle concerne en effet la “Culture“, visage internationalement admiré de notre pays. L’historien peut s’autoriser cette digression ici car le recul dont il use —sa première qualité— privilégie l’analyse et rejette la polémique.

Alors que l’édifice de l’ancien tribunal de Limoux va retrouver sa fonction originale, mon interrogation porte sur l’absence de considération de la “Culture“ dans un processus dont pourtant l’une des conséquences —et non la moindre— l’a affectée si sèchement. Gageons que si quelque laboratoire scientifique avait préalablement occupé l’édifice, tout aurait été préparé en amont pour étudier correctement son transfert.

Rien de tout cela. En effet, l’élégant bâtiment avait choisi pour destinée d’être le sanctuaire de la mémoire vivante du célèbre Carnaval : une institution culturelle l’occupait donc sous l’égide de la Ville, propriétaire des lieux. Cependant, l’existence de l’Institut des Arts du Masque dans ces locaux ne semble pas avoir été retenue à sa juste mesure lorsqu’il fut arrêté de l’en déloger : un manque d’égards tellement ordinaire qu’il ne mérite même plus d’être qualifié d’inconvenant ; illustration d’une banalisation devenue si coutumière qu’elle n’est que cicatrice parmi tant d’autres… Douloureuse à vivre.

Car, depuis deux ou trois décennies, les domaines relevant de la Culture tendent à ne plus être considérés à part entière —combien la motivation politique d’André Malraux apparait aujourd’hui obsolète— mais de façon stéréotypée et restrictive, confinés au rôle d’argument en faveur d’autres priorités (telles que le tourisme, les mondes de l’image, les politiques de communication).

La lettre de l’Institut des Arts du Masque (août 2022)

Dans la “Lettre“ que je me fais un devoir en forme de manifeste de publier ici, Guillaume Lagnel, insigne créateur de l’Institut du Masque de Limoux, vient révéler la situation dans laquelle il se trouve de devoir fermer ce foyer de création artistique reconnu au plan national et dans nombre de pays européens, méditerranéens et même au-delà des rives de l’Atlantique.

Dans les coulisses du joyeux et bruyant Carnaval 2023, le silence accompagne ainsi à voix basse la dernière année d’expression muséale de ce foyer du rituel festif, séculaire tout autant que sacré (au sens populaire dont ce terme témoigne), que Limoux aura porté comme on le ferait d’un flambeau !

Éteignoir à bougies appelé familièrement “capucin“

Il ne restera que le vide laissé par un éteignoir gigantesque, absurde tout autant qu’implacable : le “capucin“. Sa forme est celle du bonnet de meunier mais plutôt que de farine, il se couvre de cendres froides. 

“Mère des Arts…“  où te caches-tu ? 

— Derrière mes masques.

Institut des Arts du Masque, calendrier mars 2023

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