Pour fêter Pâques, cette année, les cloches ont bien failli en perdre leur latin !


“Déjà, le soleil, impatient de rencontrer la lune, franchit l’équinoxe de printemps avec un jour d’avance sur le calendrier liturgique… Ensuite, la lune, si désireuse de le rejoindre dans ses plus beaux atours, s’y précipita… Heureusement, rien sur terre ne saurait ébranler la Raison ni la Foi”

Fixer la date de Pâques n’est pas une mince affaire ! D’aucuns vous diront qu’il suffit de noter la première pleine lune après l’équinoxe et de retenir pour la fête pascale le dimanche qui suit… Un exposé concis, propre à satisfaire les fidèles de toute religion humaine qui confient à leur Eglise le soin de veiller à l’harmonie entre les rites du culte divin et la marche des “Grands Luminaires”.

Seshat, déesse de la Sagesse, de l’Ecriture, des Mathématiques, de l’astronomie.

Heureusement, car il faut être vraiment féru de mathématique et d’astronomie pour parvenir à ajuster les années lunaires aux cycles annuels du char d’Apollon ! Des calculs déjà très savants dont la solution n’est qu’une étape puisqu’il convient aussi d’adapter ses conséquences à la vie quotidienne des humains sur Terre et donc accepter quelques approximations (une illustration de ces simplifications : les années bissextiles apparaissant dans notre calendrier familier… en y ajoutant les années débutant un siècle à condition qu’elles soient divisibles par 400 comme le fut l’An 2000… Ouf !)

Comme si cela ne suffisait pas, au fil des siècles et avec délice, les théologiens ajoutèrent leurs interprétations emmêlées des textes sacrés ! Le clergé de base subit ainsi des calendriers liturgiques de plus en plus éloignés de la réalité calendaire suprême… à tel enseigne que leurs prélats furent contraints d’accepter des corrections quand le système devint trop déraisonnable ! En Occident, le pape – pourtant déjà contesté par la Réforme – connut un sursaut d’autorité accepté par tous : en 1582, le calendrier fit un bond de dix jours pour rétablir l’ordre.

Momus, le dieu impertinent de l’Olympe, dut battre en retraite…

Momus est un délicieux ouvrage dont je dois la lecture à Pascale Lismonde, journaliste et écrivain, que je ne saurais assez remercier tant il s’agit d’une révélation joyeuse et pleine d’humour due —et c’est loin d’être négligeable !— à l’éminent maître dont l’œuvre sert de guide à tout amateur de la Renaissance et de l’histoire de l’art durant les siècles suivants jusques au nôtre : Leon Battista Alberti !

Réédition de Momus éditions Les Belles Lettres : Monus ou le Prince.

Momus n’en était pas à sa première provocation ! Favorisant la chamaillerie dans le concert des Eglises concurrentes autour de la Méditerranée, il provoqua une cacophonie à ce point insupportable que le Concile réuni à Nicée en 325 — l’un des deux seuls conciles œcuméniques acceptés par l’ensemble des Églises chrétiennes—dut ajouter un canon à ses décisions.

Depuis, la date de Pâques est fixée à partir d’une représentation fictive des phases de la lune, désignée ainsi Lune ecclésiastique ou Lune Pascale dont les phases sont fondées sur 225 mois lunaires courant sur 19 années solaires…

Vous me suivez toujours ?

…Sauf que, tous les 312 ans, il conviendrait de rectifier l’erreur d’un jour imposée au calendrier lunaire ! On y remédie en apportant un jour supplémentaire à l’épacte (soit à l’année lunaire) à chaque année (solaire) bissextile (L’épacte est l’âge de la Lune au 1er janvier d’une année donnée, c’est-à-dire le nombre de jours écoulés, au 1er janvier depuis la précédente Nouvelle Lune).

Vous me suivez encore ?

C’est presque fini !

Pour la majorité des églises chrétiennes, Pâques est donc fixée au premier dimanche qui suit la Pleine Lune ecclésiastique suivant ou coïncidant avec le 21 mars (soit entre le 22 mars et 25 avril). En revanche, les églises orthodoxes ont gardé le calendrier julien (antérieur au calendrier grégorien de 1582) et les juifs fêtent la Pâque le 15 nisan (du mois nisan) qui ne peut être célébrée ni un vendredi, ni un dimanche…

Pour ne pas lasser votre patience, il est temps de revenir au sujet même de notre article.

Les “demoiselles” dans le clocher de Paulhac (cliché Fondation du Patrimoine)

Qu’est-ce qui perturba donc les “demoiselles” habitantes familières de nos clochers en cette année 2019 ?

Cette année 2019, l’équinoxe eut lieu le 20 mars, la lune “pleine“ dans la nuit… Il fallait donc être dans le secret des laboratoires de spécialistes de la Lune Ecclésiastique pour comprendre que la pleine lune retenue serait non pas celle-ci, trop étroitement liée à l’équinoxe, mais la suivante : la fête de Pâques était fixée au dimanche 21 avril et non au 24 mars !

Hans Memling, “ange tenant un rameau d’olivier”, musée du Louvre (volet d’un triptyque autrefois au monastère de Brou)

Fi de la lune vraie…

Le soleil et la lune avaient eu rendez-vous, mais trop empressés !

Les clochers en ont vibré …

… et les cloches ont dû patienter un mois (lunaire !) de plus pour vaquer à leur traditionnel séjour à Rome !

Cet œcuménisme sous la voûte céleste ménagea fort heureusement le délai nécessaire pour que la si belle fête quasi “païenne“ des Rameaux ait attendu le retour du printemps —le vrai !— après un hiver qui s’éternisait…

Un observatoire astronomique de pierre pour déterminer la lune pascale

Par évidence, les calculs permettant de fixer la date de Pâques et la diffusion de leur résultat pour chaque année relèvent d’un système bien rodé au service des Eglises et communautés ecclésiastiques concernées par la célébration de l’annonce du Salut des âmes.

Cependant, si de telles dispositions sont aisément perceptibles avec nos moyens contemporains, qu’en était-il voici des siècles ? Un site roman retient dans sa mémoire de pierre la solution pratique à un tel casse-tête liturgique qui s’impose aux ecclésiastiques chargés de maintenir leurs ouailles dans l’obéissance des canons de l’Eglise.

La disposition architecturale est aussi judicieuse que précise. En effet, à Obarra (Navarre) “l’architecture de l’édifice constitue un observatoire astronomique et un calendrier perpétuel : la lumière de la lune pénètre par la baie centrale de l’abside lors de la seconde pleine lune d’automne” (J.-F. Esteban).

Une illustration du pouvoir de la lune : “l’éclipse ecclésiastique” (gravure allemande, XVIè s)

Le principe qui y préside repose sur le fait que la position de la deuxième pleine lune d’automne (en d’autres termes : la deuxième après l’équinoxe de septembre) annonce la même position de la lune qui, au printemps suivant, fixera la date de Pâques… 21 semaines auparavant. Le délai suffisant pour caler la liturgie des dimanches qui la préparent !

Il suffisait d’y penser !

Cette précieuse information me fut communiquée par des amis navarrais avec lesquels les échanges sont si instructifs. Au premier rang, M. Antonio Garcia Omedes et M. Mikel Unanue que je remercie ici très volontiers.

Un sujet que nous évoquerons à Ferrières en octobre 2019 lors des journées qu’organisent les associations que notre maison héberge (Ferrières Renaissance, Société du Souvenir et des études cathares, Académie Saint-Jacques) dont le programme sera bien sûr diffusé sur poliphile.fr.

Méthode pour connaître la date de Pâques :

❖  ❖  ❖