Quand la bise fut venue…


Attendre la fin de l’été pour affronter les froideurs de l’hiver en montagne

Pendant les mois de sècheresse, le même mirage se renouvelait d’une semaine sur l’autre : l’intervention des couvreurs était constamment reportée, m’abandonnant chaque matin au sort des fourmis, anxieuses de voir survenir la fin inexorable de cette période pourtant si favorable aux travaux sur les toits. Ainsi le chantier à Ferrières ne fut-il vraiment engagé qu’avec l’arrivée des pluies automnales suivies de peu par des températures hivernales.

Les hommes endurcis bravèrent donc bourrasques d’un vent soufflant en tempête et averses drues… tels des marins aux prises avec une mer souveraine. C’est dire combien l’illusion de vagues assoupies que pourraient évoquer les “vieilles montagnes chenues“ autour du château n’apaisait plus ce sentiment d’un Jardin d’Eden résolument perdu : nous passerions un nouvel hiver sans chauffage…

Les “météores“ de retour sur les motifs Renaissance du logis seigneurial et de la porterie.

La fourmi, dans sa sagesse, sait que les journées propices pour préparer les saisons plus rudes sont comptées. D’autant que la Nature, pourtant si prévoyante au fil des saisons, n’échappe pas aux caprices du temps qui peut changer de façon si imprévisible ! Manifestations éprouvantes d’un dérèglement dû, probablement, à l’inattention des dieux plutôt qu’à leur malignité. Et non pas, comme d’aucuns grincheux pourraient s’en gausser, ouvrage d’un intrus survenu dans l’Olympe : Momus s’en défendra.

Car nos anciens l’avaient compris : la mécanique harmonieuse de la Grande Horloge des jours, des mois et des astres se doit de résister aux évènements imprévisibles qui échappent à sa loi dont “les pluies, la neige, la foudre, le vent, (…), tous les dangers que, à sa sortie d’Eden, le couple primitif eut à affronter“ (Maurice de Scève, Microcosme I, vers 409-458).

Arguments que Guy Demerson traduit dans notre langage moderne en constatant que ces perturbations —étrangères à l’ordre naturel— surviennent en “escadrilles“ irrégulières : “Pour la science de la Renaissance, on ne peut comprendre ces phénomènes qu’en discernant leur rôle dans la machine de l’univers ; de nombreux savants scrutaient ainsi les causes finales des météores (…) en les ramenant à quatre : orner le monde par la variété, purifier l’atmosphère en brûlant les vapeurs toxiques ; faire pressentir la majesté de Dieu ; annoncer les évènements futurs“.

Horloge astronomique de Lyon

Ainsi, au XVIème siècle, les “météores“ n’en étaient qu’à leur début d’expertise : le simple fait de les nommer offrait déjà l’avantage de les compter au rang des éléments possiblement mesurables. De l’objet on en vint donc à son décryptage scientifique : s’en suivit la météorologie qui, cinq siècles après, tente toujours de les inclure entre causes et conséquences au profit de nos connaissances… et, pourquoi pas, jusqu’à jouer les prophètes !

Rabelais si bien l’exprima à propos de quelques scientifiques se flattant de prévoir le temps comme de nos dirigeants pareillement fiers d’analyser toute initiative humaine : “les yeux attachez aux nues pour sçavoir les causes des foudres, tonnerres, tempestes, comètes, nèges, pluyes, gresles et telles impressions de l’air savaient bien que cela estoit inutille et qu’aussi bien, soit qu’on en sçache la cause ou qu’on ne la sçache point, ils ne laissent pas d’estre“.

Ayant ainsi subi les caprices des météores après ceux qui perturbèrent les agendas des entreprises, la couverture d’ardoise à Ferrières n’en fut pas moins enfin rétablie pour être à nouveau étanche. Et chacun de mes amis s’employa dès lors à me ramener à la raison, effaçant les préjudices subis dans l’antichambre pour ne plus honorer que le résultat en fin de spectacle.

Seule, élancée et robuste, la tour du Levant n’aura arboré sa nouvelle coiffure qu’aux Reyes Magos… Un si beau présent offert à la douairière vaut bien un peu de patience pour parachever sa toilette tant attendue !

Couvreur sur la tour
Quand le château se fait castelet

L’une des belles images retenues au fil de ce chantier fut celle des couvreurs affairés en ombres chinoises sur la couverture de l’entrée du château. Ce bâtiment —généreusement encadré par des murailles végétalisées à souhait— vient de renouer fièrement avec sa désignation par la vox populi de “corps de garde“ (héritée de ses fonctions de caserne puis de Prison d’État avant la Révolution) : austère malgré le décor à bossages du porche, sa réfection lui restitue le confort visuel d’une ouverture digne de la cour d’honneur dont il ménage la surprise.

Couvreurs sur le corps de garde

La dégradation lente de ce bâtiment réintégré récemment dans la gestion de l’ensemble monumental était de plus en plus évidente. Devant l’urgence, sa mise hors d’eau fut décidée en début du programme de restauration du château. Dans un second temps, surviendra le traitement de ses façades pour atténuer l’aspect si lamentablement ruiné de ses abords consécutif à la démolition, en 2011, de l’habitation qui ménageait avec charme cette face de la forteresse. Nième décision absurde des pouvoirs locaux que l’enceinte occidentale du château a maintes fois subi depuis le milieu du XXème siècle.

Situation révolue car, avec la création de la nouvelle Commune “Fontrieu“, l’extension des limites administratives a facilité l’instauration d’échanges apaisés en faveur de la préservation du patrimoine.

Plan du Château de Ferrières (Bibliothèque nationale – Paris) – 1) Porterie – 2) Logis seigneurial : chambres seigneuriales – 3) Logis seigneurial : appartements – 4) Logis seigneurial : “Salle du château“ – 5) Tour du Levant

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