René Lombard, metteur en scène des mythes célestes


L’ami qui m’apprit à écouter la danse des étoiles

Les bras chargés de fleurs fraîchement cueillies, les jeunes filles, toutes nées la même année que la fille du roi, l’accompagnaient, gracieuses, en bord de mer. Tout n’était que danses et rires, lorsque surgit de l’écume un splendide taureau blanc qui s’allongea langoureusement sur le sable. À sa vue, Europé s’assit contre son flanc caressant son pelage aussi doux qu’immaculé.

Les peintres de tous les siècles, de toutes les écoles, furent séduits par la sensualité de la scène comme l’avaient été dans l’Antiquité grecque les artistes qui nous ont offerts cratères et hydries en terre vernissée auxquels nous devons la transmission des mythes fondateurs de notre culture.

Dont celui-ci, de la belle Europé. Récit qui illumine encore notre identité culturelle native d’effluves méditerranéens menacée aujourd’hui par les vagues impressionnantes issues des Etats Unis d’Amérique qui s’échouent sur les plages de l’Arc atlantique.

L’Enlèvement d’Europe, Liberale da Verona, Musée du Louvre, Paris
L’Enlèvement d’Europe, Liberale da Verona, Musée du Louvre, Paris

Europé, ingénue, n’eut que le temps de s’agripper de la main droite à la corne du taureau et retenir de la gauche son voile : l’animal bondissant l’emporta au plus loin vers le large.

Zeus ainsi métamorphosé se saisit de la belle Europé dont il était amoureux, la déposa sur l’île de Crète où elle donna naissance à Minos. Devenu roi, celui-ci commanda à Dédale la construction du labyrinthe pour y enfermer le Minotaure. Depuis, en souvenir du combat victorieux de Thésée contre le monstre, les jeunes gens s’adonnent sur les plages à la Geranos, d’abord en files ondoyantes le long du rivage pour terminer en formant une ronde : l’entrée du labyrinthe vaincu n’étant autre que son issue.

La geranos, danse d’hommes comme toutes celles qui honorent le passage rituel à l’âge adulte, que ce soit dans les îles grecques, les contrées africaines ou encore dans nos vieilles montagnes la bourrée et, en Argentine, le tango bien sûr… Sous le ciel étoilé, nulle frontière humaine ne résiste à la danse des muses que tout navigateur ausculte avant l’embarquement.

René, l’ami du mois d’août à Ferrières, savait tout cela et plus encore. À son regard pétillant de sourire, sa voix résonnant comme la mer à chaque ressaut soucieuse de gravir les rochers, l’épopée des hommes et des dieux devenait si simple ! Jusqu’à nous faire écouter —et donc entendre ?— la musique fredonnée de ces quelques vers d’Homère qu’il récitait dans la langue première de notre savoir oublié.

Passeur du drame des dieux et des hommes

S’il est un domaine peu exploré de la Tradition, c’est bien le théâtre : confiné dans des études littéraires, l’enseignement antique y apparaît trop souvent dépourvu du jeu du corps et de la proclamation. Pourtant la danse et la voix en sont les messagers tout autant que la dramaturgie et le texte. René Lombard le traduit avec simplicité, le transmet, le répète souvent comme s’il s’agissait de parfaire le “Bien” à offrir en partage. Il suffit d’aligner quelques uns de ses ouvrages édités dans “Le château enchanté”, demeure du “Poliphile éditeur”, pour s’en persuader : “L’enfant de la Nuit d’orage”, “Mon ami Pierrot d’où viens-tu ?”, “Le jeu d’Eros et Psyché dans L’âne d’or ou Le passage de l’impalpable : témoignage d’un savoir ancien aux sources du théâtre”, et encore “La danse de Salomé : message de la pensée ancienne”.

La gestuelle retrouvant ainsi sa place dans la transmission des images sacrées ancestrales, le metteur en scène peut parfaire son discours, nourri de la mythologie des peuples dans laquelle il retrouve la motivation des descendants de l’homme-singe premier, du moins ceux qui, encore épargnés par l’agitation mercantile du monde actuel, tentent de réguler leur vie au rythme des grands luminaires de la nuit.

Alors, à chacune des longues visites à Ferrières, René Lombard captiva les auditeurs de son art à réveiller, derrière les figures mythologiques et la geste des plus humbles, la quête des âmes sur le sillon tracé par le scintillement d’une étoile : dans son art de renouer un fil de la vie et l’enduire pour le préparer au tissage, le Parage retrouve toute sa signification et sa portée.

(Texte paru dans les Cahiers d’études cathares – printemps-été 2018)

Un enfant, messager de l’Olympe

De sa belle écriture, le marque-page glissé en guise d’ex-dono dans l’exemplaire de son “Le nom de l’Europe, souvenir d’un cérémonial millénaire” (2002, éditions Thot) qu’il m’offrit à sa parution y demeure conservé précieusement. Nous avions conduit ensemble une telle aventure dans la réalisation du bel ouvrage produit par les éditions de Poliphile, à Ferrières : René par l’écriture, le dessin enlevé et le choix des illustrations, m’étant revenus la mise en page et le suivi de l’impression. Un livre qui fut pressenti au Salon du Livre 1987 pour récompenser la si belle couverture due aux presses Art & Caractère, à Lavaur.

Cet “Enfant de la Nuit d’Orage” resta notre protégé, René m’ayant conduit jusqu’à l’apprivoiser.

Depuis ce mois d’août 2020 qui nous transmit la nouvelle de son départ, Ferrières ajoute à son ciel de nuit le souvenir de celui qui savait faire danser les étoiles au rythme de Séléné, sur notre miroir d’Orion et de la Voie Lactée où il se sentait chez de vrais amis.

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