En charge d’éclairer les joyaux des Asturies


“Fidèle serviteur, au-delà des siècles, du roi asturien Alfonso II el Casto, Vicente José González García laisse en héritage sa connaissance encyclopédique du patrimoine de la Principauté“

Le professeur Vicente José González García avait Oviedo dans son cœur. Non pas la ville entière, pourtant élégante, douce, aux rues parfaitement tenues… ni la fierté des asturiens que l’on croise, affables, ou ceux vêtus du costume traditionnel un jour de fête, fiers et joyeux.

Son cœur battait sur le plateau de la ville où se dresse la cathédrale. C’était là le siège du Royaume des Asturies dont seuls quelques vestiges subsistent dans les entrailles du palais épiscopal alors que son aura aux siècles passés suscita l’admiration de toute l’Europe. Charlemagne y compta son principal allié à la fondation de l’empire carolingien et le Chemin de Saint-Jacques y naquit… Un succès qui ne se dément pas puisque tout pèlerin qui se respecte se doit d’y honorer encore celui dont il implore le regard suivant l’adage dédié à la cathédrale Saint-Sauveur d’Oviedo : “qui fut à Saint-Jacques et ne fut pas à Saint-Sauveur, a visité le serviteur et délaissé le Seigneur“.

Santa María del Naranco (Oviedo)

La Péninsule ibérique, maltraitée et soumise, y trouva son refuge salvateur : d’ici, la Reconquista s’élança pour sept siècles de guerre… Mille ans après, Napoléon y fut confronté à une résistance qui le contraignit à s’en retourner d’Espagne.

C’est dire l’importance de cette terre blottie entre les Picos de Europa et l’Océan : les pays du Vieux Continent peuvent y saluer une des racines de leur destinée commune…

L’ambassadeur de sa ville

Ainsi, don Vicente portait-il cet élan ravageur de tout homme fier de sa terre afin qu’elle fut reconnue aux titres de son histoire et de son patrimoine, à l’heure où les acteurs du renouveau du Chemin de Saint-Jacques en Europe n’avaient d’yeux que pour la Galice.

Dans ce but, il organisait colloques et réunions auxquels il m’associait volontiers. Des visites qui prenaient un caractère solennel grâce à un protocole précis ménageant la simplicité des échanges (une qualité de nos amis espagnols que cet art de recevoir, confiant le respect des fonctions et déférences à l’ordonnance protocolaire afin de laisser libre en son sein les rapports humains, quel que soit le rang de chacun).

Ce fut d’ailleurs un véritable examen de passage qui me fut imposé pour sceller une amitié fidèle —malgré l’éloignement géographique et le temps qui passe— avec ceux qui me firent l’honneur de l’accepter, en Asturies comme en Galice.

Initiation à l’Europe de demain

Pour ma première venue, don Vicente avait organisé une visite des édifices préromans sur le Naranco, suivie par celle de la Camara Santa puis de la cathédrale. Le parcours s’acheva au cloître. Les membres de la délégation cessèrent peu à peu leurs conversations ; nous arrivions devant une lourde porte qui fut ouverte avec solennité. Je fus alors invité à entrer, descendis quelques marches et me trouvais dans une salle tapissée de lambris admirablement entretenus, majestueusement ordonnée autour d’une grosse table. Des sièges aussi imposants dans leurs alignements que muets… Le silence était pesant. Je réalisais que mes hôtes étaient restés à l’extérieur : j’étais seul. Le moment du respect écoulé, je retournais lentement sur mes pas. La porte fut refermée avec la même solennité. Alors, seulement, les langues se délièrent : j’avais été convié à entrer dans la salle de la “Junta General de Asturias“ où fut prise souverainement la décision de refuser l’obéissance au pouvoir central et de déclarer la guerre à Napoléon et donc à l’armée française.

“Le Tres de Mayo“, (détail), Francisco de Goya

Ce jour-là, ne pouvant échapper aux réminiscences du “Tres de Mayo“, je sus combien l’Europe de nos générations est un tissage complexe mais très résistant… sous réserve d’être accepté.

Missives de Charlemagne
Monogramme de Charlemagne

Don Vicente m’offrit un autre moment aussi inattendu et émouvant, cette fois dans la bibliothèque du chapitre cathédral. À son amitié et sa confiance, je dois d’avoir passé un après-midi à découvrir la collection de lettres et documents authentiques adressés par Charlemagne au roi Alfonso II el Casto ! Chacun de ces grands parchemins est en soi une œuvre d’art : la calligraphie y atteint la perfection exigée par le rang insigne ; la signature éminente, si habilement conçue, manifeste sans détour que l’ordre suprême s’impose à tous.

Examinant ces archives exceptionnelles —tous les sens éveillés puisque les prescriptions actuelles de porter des gants n’étaient pas encore de mise— je me laissait glisser par un raccourci déraisonnable vers une communion de pensée avec leurs destinataires, intimement associé pour quelques instants aux sources premières de notre Histoire moderne.

Si loin des chambardements du monde… à Covadonga !

Le professeur Vicente José González García avait la hargne du chercheur dont les découvertes et déductions deviennent son credo. Il en produisit une exposition de soixante-dix panneaux, si dense qu’elle en était illisible. De fait, sa générosité cachait la sensibilité du serviteur de sa ville et de son pays. D’aucuns, censeurs sans galons, lui reprochaient son impatience et le marginalisaient depuis le confort de leur carrière tranquille : il en était triste mais aussi plus vaillant encore.

Ce qui m’incita certainement à lui apporter mon appui et le suivre dans ses espérances, apprenant beaucoup de ses regards personnels sur le haut Moyen Âge.

Grotte du sanctuaire de Covadonga

Oviedo lui doit d’avoir alerté bien des talents en faveur de la reconnaissance du patrimoine sublime de cette capitale. Son patrimoine monumental mais aussi et surtout celui invisible à l’œil nu dont ces édifices sont les témoins.

En hommage à cet historien, je rappellerai la journée baignée de soleil d’automne que nous réserva, à Covadonga, le nonce apostolique pour l’Espagne… Don Vicente appartenait aux gardiens de ce temple. Il m’en fit ainsi la confidence dans ce partage et l’intimité d’une réunion familiale, quasi pèlerinage rituel. En quittant ce haut lieu de ressourcement, imprégnés que nous étions par sa majesté, son immensité et son silence, à peine rendus au monde du quotidien, nous fumes inondés d’images atroces. C’était le 11 septembre 2001.

Il est des personnes dont la rencontre sur le chemin ne laisse pas d’être indifférent.

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