La sittelle dite torchepot : l’art de vivre à contre-courant


Ainsi, un tout petit oiseau suffit-il à réveiller de grands débats philosophiques

Fidèle et peu farouche, la sittelle vient picorer tous les matins sur le rebord de ma fenêtre. Un regard rapide pour vérifier si la vitre ne cache pas quelqu’observateur indiscret puis, satisfaite de son petit déjeuner, elle s’échappe d’une tire d’aile.

Prudentes, les mésanges suivent la scène du plus haut de l’arbre voisin : pas question de s’aventurer près de la mangeoire tant elles connaissent la mauvaise humeur de ce compagnon autoritaire. Sauf que, une fois repue, la sittelle leur offre de finir ses repas : par exemple, les restes d’une noisette qu’elle avait glissée dans une faille d’écorce afin de la briser de son bec acéré.

Une cohabitation somme toute pacifique pourvu que chacun respecte le comportement de l’autre, qu’il soit en couple ou en famille nombreuse.

Pourtant la sittelle se distingue des autres passereaux communs par une originalité qui n’a pas fini de faire caqueter au café du commerce : elle a pour habitude de descendre le long des troncs d’arbre… la tête la première ! Pas de place dans son chant ni pour l’ascenseur social ni pour la quête de postes élevés réservés aux premiers de cordée : la sittelle mène son train en cavalier solitaire et fait fi de la Vox populi à son endroit.

La sittelle ou bien, en italien plus explicitement, il “picchio muratore“ : équivalent du français “torchepot“, mot à mot : le “pic-maçon“… ça ne s’invente pas ! (Photo – JYB – 2020)
opérative, certes…
La Roue de la Fortune (“Échecs amoureux“, Évrad de Conty, XVè siècle, BnF)

… philosophe, certainement ! La sittelle, devant ma fenêtre, vient non seulement se restaurer mais réserve en échange quelque pitance à ma réflexion : « on marche sur la tête ! », entend-on fréquemment dans la période troublée que nous traversons.

La vie quotidienne devenant plus compliquée surviennent l’inquiétude face à l’avenir, un repli sur soi et la méfiance à l’égard de l’inconnu : des considérations qui font le festin des éditorialistes que la fonction de “vigie“ griserait à ce point qu’ils confondraient le nid en haut du mât avec la barre de gouvernail sur le pont.

Vaine substitution instantanément recalée par la sagesse éternelle que la sittelle relaye à plaisir : ce qui est en haut est comme ce qui est en bas… et inversement !

“Il est vrai, sans mensonge, certain, et très véritable : ce qui est en bas est comme ce qui est en haut ; et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, pour faire les miracles d’une seule chose“ (incipit de “La Table d’Émeraude“ d’Hermès Trismégiste, texte issu de l’Antiquité gréco-égyptienne, transcrit dans un manuscrit arabe du IXème siècle).

Certes, Rabelais n’eût pas manqué de jouer avec le qualificatif torchepot dont les biologistes affublent le nom charmant de la sittelle. Sans manquer, cependant, de lui ajouter avec délice son célèbre « fais ce que voudras ».

Car il est bon, parfois, de se jouer de sa personne pour mener le “vivre ensemble“ en toute conscience. Quitte à cheminer sens dessus-dessous

Si la biodiversité s’avère indispensable à la survie de la Planète… pourquoi ne pas l’inviter aussi à préserver la capacité de réfléchir chez les humains ? Dans l’éventualité où le glissement vers une pensée unique vienne, par flemme de lui résister, à la menacer.

Carte 12è du jeu de Tarot Visconti-Sforza,XVème siècle (Morgan Library, New York, Mss M.630.1-35)

❖  ❖  ❖