Tel un shadok, Utopus creusait, creusait… Tout à coup, l’île se sépara du Continent : “Brexit !” hurla la foule…


Á ce cri, Erasme sursauta. Cela se passait il y a cinq cent dix ans, à Londres, dans l’appartement de Thomas More. Comme un léger battement d’ailes de papillon… et la face du monde allait changer de miroir !

Un mot seulement : Utopie.

Pour la troisième fois, Erasme séjournait chez Thomas More. Aussi imprégnés l’un comme l’autre de philosophie grecque, attentifs aux grandes découvertes de leur temps, leurs réflexions et prises de position étaient respectées dans l’Europe entière. Durant ce voyage à Londres, Erasme s’adonna à l’écriture de l’Éloge de la Folie (publié en 1511 à Paris) dont la lecture in situ —si j’ose dire— éveilla chez son grand ami le désir ardent d’y répondre : Thomas More décidait de rebondir en écrivant l’Utopie qui paraîtra sept ans plus tard, en 1516. Ces deux œuvres majeures pour l’affirmation de la pensée humaniste —nées simultanément et donc indissociables—, témoignent de l’évidente complicité entre leurs auteurs et de leur humour si savoureux.

Bosch, Tentation de saint Antoine (détail)

“…(Le) goût de la facétie a valu aux deux amis de graves critiques et de solides inimitiés, et les deux œuvres retrouvent de nouveaux points communs dans leur destinée…. Á vrai dire, More a eu l’occasion de se défendre. Déjà, dans son Apologie, il avait écrit : « Qui donc, dit-il en citant Horace, m’empêchera de dire la vérité en riant ? et sied-il à un laïc discutant religion avec de simples fidèles, de prendre le ton solennel du sermon ?”  in : Béné Charles. Facétie et humour chez Erasme et chez More. Discussion. In: Bulletin de l’Association d’étude sur l’humanisme, la réforme et la renaissance, n°7, 1977.

L’âme vagabonde (errante !), Erasme dans l’Eloge de la Folie décrit la ville des fous, Abraxa, qu’il situe quelque part sur le Continent.

Thomas More s’en saisit. Pour réaliser ce coup de force virtuel sur la cité d’Erasme, il mandate un homme de main : Utopus. Celui-ci, victorieux, s’empresse de creuser un fossé, immense, profond, séparant son territoire du continent : Abraxa devint une île ! Une nouvelle destinée et donc un nouveau nom : celui de son roi.

Utopia : l’île Utopie, est née !

L’île Utopia détachée du continent.

Non sans la malignité et la passion des lettres de son inventeur qui désigne ainsi un monde… de nulle part !

L’île Utopia (édition de 1516)

Utopia se veut modèle pour la cité moderne, gérée par des règles communautaires, instaurant l’équilibre entre le territoire entourant la ville et les besoins de ses habitants, établissant l’égalité, la non-propriété, l’éducation d’une population “ignorante et rustique”. Thomas More, bien que Chancelier du Royaume nommé par Henri VIII, réserve ici d’acerbes critiques à son pays jusqu’à lui préférer cette île virtuelle —son opposée—, pays imaginaire dont la civilisation surpasse en qualités celle de la Grande Île où il réside.

Depuis, cinq siècles se sont écoulés… Utopia serait-elle à la dérive ? Le modèle de pouvoir que suggère la démocratie prônée par Thomas More atteindrait-il le terme de sa capacité à gérer un peuple ? L’île miroir (aux cinquante-quatre villes, soit le nombre des comtés en Angleterre) serait-elle à veille de faire naufrage ?

Cinq siècles après, Utopia ne peut plus retourner à Abraxa, sur le Continent… Le Brexit est bien consommé !

Voici donc comment peut s’estomper un léger battement d’ailes de papillon…

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