Dans la nuit étoilée, une goutte de sang apparaît au flanc du Taureau blanc qui emporta Eurôpé sur sa croupe


C’est l’étoile Mira qui rougit une fois l’an dans l’immense constellation, rythmant ainsi depuis la préhistoire les rituels de chasse et de mort. Alerte détonante dans l’épopée civilisatrice de cette princesse du Levant, gagnant la mer Égée pour répandre ensuite son parfum jusqu’aux limites de l’Océan et de la Baltique : l’Europe lui doit son existence mais aussi le retour annoncé de la blessure originelle, toujours aussi cruelle et inacceptable qui ne cesse périodiquement de la menacer.

Le Cri (Edvard Munch, 1893, Nationalgalleriet, Oslo)

Lorsque le poète crie aux étoiles l’espoir intime de notre âme, la mythologie nous traduit la réponse des dieux : aux racines de notre existence, leur message est à ce point intemporel qu’il surnage aujourd’hui-même dans notre actualité dramatique.

Dans la lumière de l’été
Au beau milieu du champ de blé.
Mais, sur le corsag’ blanc,
Just’où battait son cœur
Y avait trois goutt’s de sang
Qui faisaient comm’ un’ fleur :
Comm’ un p’tit coqu’licot, mon âme !
Un tout p’tit coqu’licot.

Marcel Mouloudji (1951), Comme Un P’tit Coquelicot
(paroles: Raymond Asso ; musique: Claude Valéry)

La légende fondatrice, sur la Terre des humains

La belle Eurôpé (en grec), fille du roi de la contrée de Tyr, s’attardait avec ses “demoiselles suivantes“ sur une plage de Sidon. L’ayant aperçue, Zeus en tomba amoureux, se transforma en un magnifique taureau blanc et jaillit de l’écume. Il se fit langoureusement caresser par la jeune femme qui s’installa même sur sa croupe. Tout à coup, d’un bond, l’animal s’échappa dans les vagues, emportant la princesse déjà soumise pour la déposer en Crète…

Personnification de la civilisation nouvelle, la jeune épouse du roi des cieux étendit dès lors son règne à la “large terre“ que signifie son nom Eurôpé, vieille épithète de la déesse “Terre régénérée que ce soit en grec, en sanskrit ou dans les langues germaniques.

Son reflet au miroir de la nuit

Dans les dénominations modernes des constellations, ne subsiste que le protomé du Taureau. Autrefois, le corps de l’antique auroch s’étendait de la constellation de la Baleine (Cetus) jusqu’à l’arc d’Orion : énorme, puissant, alerte, à l’image des bisons et autres yacks des temps préhistoriques qui peuplaient les continents où les humains chassaient, à l’affût de leur suprématie encore embryonnaire…

Le bison blessé (Niaux)
La constellation de la Baleine et l’étoile Mira

Sur son flanc, une étoile variable : Mira. En un cycle de 331,65 jours, cette étoile passe d’une taille invisible à l’œil nu à celle bien visible d’une étoile de couleur rouge sombre… manifestant une plaie saignante sur le flanc de l’immense animal, initiateur du mythe fondateur de notre Vieux Continent.

Mira, le phare dans les ténèbres pour que renaisse le jour

Une blessure qui saigne sur le pelage blanc et soyeux, une blessure cruelle inhérente au réveil de notre conscience. Réveil douloureux de notre volonté pour que cesse l’inacceptable réémergence périodique du cri de Mira à l’adresse des enfants d’Eurôpé que nous sommes, car ce n’est pas aux dieux du ciel nocturne qu’en revient la responsabilité.

il est un beau pays, paradis de blé doré sur le Vieux Continent,

C’est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l’herbe sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme.
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

Arthur Rimbaud, Le Dormeur du Val, octobre 1870

❖  ❖  ❖