Jean Roques, une amitié au parfum de culture classique


À son désir de surprendre une part de rêve, d’associer l’intime interrogation à l’adhésion au théâtre des hommes, il ajoutait cet humour qui emporte la rencontre vers la complicité. “Un honnête homme, c’est un homme mêlé”, disait Montaigne.

Ses visites à Ferrières lui étaient coutumières au cours de ces années paisibles qui précédèrent l’arrivée dans ce lieu des “je sais tout“ avides de récupérer le patrimoine culturel élaboré par les “autochtones“.

À son arrivée, la journée changeait de visage : nous pouvions passer des heures savourant les traits d’humour, les références littéraires et philosophiques, le partage d’interrogations sur le patrimoine, sautant allègrement d’une époque à une autre comme aussi —sans réserve !— d’une communauté d’esprit à quelque obédience religieuse dès qu’un témoignage du passé ou de l’actualité nous en offrait le plaisir.

Jean Roques : Albi…joie (photographie La Dépêche, Jean-Marie Lamboley)

Jean Roques connaissait pour les avoir eus comme élèves, tous les grands de ce pays albigeois où l’on se “coucagne“ avec délice en s’épargnant de toute position hasardeuse, cultivant de préférence la posture moyenne. En excellent pédagogue, il mesurait le profil de ses interlocuteurs, était un conseiller écouté, savait accompagner d’un parler franc et d’un humour gouleyant son jugement toujours délicat. Je lui dois d’avoir servi quelques mois le département au service culturel d’alors, puis de le suivre dans son désir de projeter au futur la vieille dame centenaire à laquelle il s’était dévoué : la belle Revue du Tarn.

Le meilleur souvenir que j’en retiens fut son arrivée en un matin de printemps promis aux éclaircies, les bras chargés de légumes et fruits de son potager avec, en prime, un pot en verre contenant… de la mère de vinaigre ! Un de ces petits riens dans l’existence qui font le piment du savoir vivre et scellent la complicité de nos attitudes.

Car, loin de résumer les propriétés de cet ingrédient à la touche incomparable qu’il apporte à l’art culinaire, Jean Roques retrouvait dans l’élevage du vinaigre tout l’enseignement de l’Antiquité que son seul arôme permet de saisir… L’esprit de Socrate à n’en pas douter s’échappait pour lui dès l’ouverture de la bouteille comme le génie de la lampe d’Aladin.

Il me plaisait de songer que Rabelais (loin des propos graveleux que les critiques littéraires convenus s’emploient à déceler dans son œuvre) aurait su apprécier l’acte —et la parole qui l’accompagna— lorsque ce “jardinier“ du savoir de l’honnête homme me tendit le flacon. “Homme d’esprit, son humour volontiers provocateur enchantait. Sa présence rendait jubilatoire toute rencontre“, rappela si justement Robert Fabre.

Jean Roques, un homme de lettres, un philosophe… Un ami.

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